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Paradoxe ou posture désespérée ? L’élection de Jean-Pierre Fabre à la tête de la commune de Golfe 4 (Amoutivé), au cœur de Lomé, aurait pu être une simple actualité municipale. Mais pour celui qui connaît le parcours politique du leader de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), cette victoire locale soulève une question bien plus embarrassante : comment un homme qui a longtemps, boycotté les élections et parfois refusé de participer à des institutions qu’il jugerait illégitimes accepte aujourd’hui d’en présider une ?

Certains y voient une stratégie. D’autres, une capitulation. Et beaucoup, une contradiction flagrante. Quand le ridicule ne tue pas, il pose au moins la question de la cohérence politique.

Retour en arrière : le rejet absolu des institutions

En 2018, dans un contexte d’élections législatives houleuses, Jean-Pierre Fabre avait répondu par un boycott. Six ans plus tard, en 2024, il était élu député. Contre toute attente, Jean Pierre Fabre et son parti, l’ANC, refusent de siéger, jugeant la situation politique comme un encouragement à la dictature. Le refus était basé également sur le manque de participation du gouvernement à des débats publics inclusifs sur des sujets importants, tels que les changements constitutionnels, qui selon eux renforcent le pouvoir du chef de l’État et méprisent les principes démocratiques fondamentaux. Il présentait son refus comme un acte de résistance et de cohérence morale : ne pas participer à ce qu’il qualifiait de « mascarade démocratique ».

Ce choix, a été salué par une partie de ses partisans, traduisant un rejet total du système électoral togolais, accusé d’être taillé sur mesure pour le parti au pouvoir, UNIR.

Et maintenant, la mairie ?

Le bon sens voudrait que Jean Pierre Fabre, refuse de s’installer dans une mairie ou même de participer aux élections municipales puisque c’est les mêmes institutions qui continuent de gérer le pays. Fabre se présente aux élections locales dans la commune de Golfe 4 et accepte cette fois-ci de porter l’écharpe tricolore de maire, sans broncher. L’homme qui refusait de siéger à l’Assemblée nationale se retrouve à présider une collectivité territoriale, issue du même système électoral qu’il dénonçait avec véhémence. Le même ministère de l’Administration territoriale. Le même fichier électoral. La même CENI. Mais, soudain, la posture change. Le combat devient… local.

Deux poids, deux mesures ?

Difficile pour les observateurs de ne pas relever l’incohérence de fond. Si le système est vicié, comme il le soutenait hier, pourquoi alors s’y inscrire aujourd’hui ? Si la légitimité des scrutins est douteuse, pourquoi valider le processus en participant… et en acceptant le pouvoir qui en découle ? La critique du système a-t-elle des géométries variables selon qu’on gagne ou qu’on perd ?

Et surtout : qu’est-ce qui distingue la mairie d’un siège parlementaire en termes de légitimité, sinon le simple fait d’avoir remporté l’un et non l’autre ?

Une stratégie de repli déguisée ?

Pour certains analystes, Jean-Pierre Fabre ne fait que s’adapter à une réalité politique crue : l’ANC a été marginalisée lors des élections législatives et régionales d’avril 2024, où elle n’a obtenu qu’un seul siège. Face à une Assemblée nationale totalement dominée par UNIR (108 sièges sur 113), la seule manière d’exister politiquement reste l’échelon local.

Dans cette lecture, la mairie devient un refuge, une zone de visibilité, un tremplin pour tenter de rester dans le paysage, faute de mieux. Le combat idéologique est mis de côté, au profit d’un combat de survie politique. Ce n’est plus une bataille pour les institutions, mais une bataille pour l’existence.

L’opposition à géométrie variable

Cette évolution alimente un sentiment de lassitude et de méfiance chez certains électeurs de l’opposition. Ils voient dans ce virage une preuve que les grands principes brandis hier — boycott, refus, pureté politique — ne sont que des postures quand l’accès au pouvoir est hors de portée.

Le risque ? Une perte de crédibilité durable. Car en acceptant aujourd’hui ce qu’il rejetait hier, Jean-Pierre Fabre sape le socle moral sur lequel il avait bâti sa légitimité : celle d’un opposant intransigeant face à un système jugé injuste.

L’écharpe, mais à quel prix ?

Jean-Pierre Fabre maire de Golfe 4, c’est un coup de projecteur, oui. Mais c’est aussi un aveu discret d’échec national. L’opposant farouche d’hier devient un gestionnaire local d’aujourd’hui, sans que le système qu’il critiquait ait réellement changé.

Dans une démocratie en quête de repères, où la confiance dans les institutions serait déjà fragile selon certains observateurs, ce genre de volte-face n’aide pas. Il conforte les cyniques. Il décourage les jeunes militants. Il entretient la confusion entre stratégie et opportunisme.

Et pendant ce temps, le parti au pouvoir consolide tranquillement sa mainmise sur toutes les institutions du pays.

Quand le ridicule ne tue pas, il rend simplement la politique plus opaque. Et le citoyen, un peu plus désabusé.

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